Pourquoi c'est toujours aux petits de rejoindre les gros ?
Depuis la mobilisation sans précédent que connaît le monde agricole, c’est une question qui m’est parvenue plusieurs fois aux oreilles. Je l’ai dit à de nombreuses reprises : cette colère est légitime, et justifiée. Les constats faits par les uns et les autres sont similaires sur de nombreux points, mais comment peut-on avoir un poids différent face aux raccourcis rapides et démagos sur des solutions toutes faites qui ne sont jamais porteuses de changements profonds ?
Comment faire entendre à ceux qui nous demandent de les rejoindre, que la situation dans laquelle nous nous trouvons est en réalité l’histoire de nos luttes syndicales. Nous nous battons depuis des dizaines d’années, sujets après sujets, pour dénoncer, contrer, contrecarrer ce rouleau-compresseur agricole capitaliste, qui nous conduit aujourd’hui à cette crise. Ce système agricole qui a profondément creusé les inégalités de revenus entre filières, entre agriculteurs et entre régions. L’exemple le plus parlant est celui de la Pac et de l'accaparement de 80% du budget par seulement 20% des agriculteurs français. Sans parler de l’accaparement des terres, de la valeur ajoutée, et donc de l’eau, des aides au machinisme, etc.
Or rien n’a été annoncé en ce sens, alors que 64 % de notre revenu disponible est issu des aides PAC. Ce système est alimenté par une poignée de représentants agricoles qui ont souvent été, et le sont encore, à la fois dirigeants de coop, présidents de chambre, administrateurs en tous genres, et qui sont souvent juges et parties au niveau local, national et même européen.
Les mêmes qui signent d’une main les arrêts de mort de certaines filières, pour mieux servir des intérêts individuels de l'autre. Dois-je rappeler qui a fait entrer des volailles des pays de l’Est, qui a bloqué la vaccination des canards pour préserver l’exportation, qui encore a investi en Ukraine il y a quelques années et annonce aujourd'hui 40% de baisse de surface aux producteurs de maïs semences ? Tout ceci se fait au détriment de notre agriculture…
Côté gouvernement, nous n’attendions rien des annonces car la remise à plat du système ne sera jamais endossée par ces responsables. Leur vocabulaire exclut les « vilains mots » de régulation, protectionnisme, quotas… De plus, ils n’instaureront jamais un rapport de force avec les industriels. Les réponses gouvernementales sont encore une fois la preuve qu’ils ne prennent pas en compte les inégalités profondes de notre profession. Le cadeau de la taxe GNR, par exemple, va proportionnellement profiter aux plus gros consommateurs, comme les maigres exonérations sur les successions et transmissions de ferme… Pour le reste, les mesures d’aides d’urgences sont des pansements qui ne permettent en aucun cas de retrouver un revenu digne.
Dans ce monde, où il est plus facile de suivre une pensée unique, nous nous devons de mettre en avant nos valeurs et nos idées. Depuis plus de trois semaines, nous nous sommes mobilisés avec des rassemblements plus atypiques. Notre manifestation fut un succès : plus d’une centaine d’agriculteurs mobilisés, ce n’est pas rien. Alors oui, cela fait moins parler qu’un déversement de fumier devant la préfecture. Mais l’important est de canaliser notre énergie dans un projet agricole totalement différent.
Le nombre de retours positifs que nous avons eus lors de nos interventions au marché de Dax et au Leclerc de Mont de Marsan, nous poussent à porter notre voix syndicale encore plus haut et plus fort. Nous devons continuer à cultiver nos différences et entraîner dans notre lutte tous ceux qui ont envie de basculer vers un modèle qui redonne le pouvoir aux agriculteurs !