Hommage à Franck Marcadé (6 mars 2021)

Franck Marcadé tenant le mégaphone (à droite) et Bernard Laborde (au micro) sur le perron de la préfecture des Landes
Vincent LESPERON
"En introduction de mon intervention d’hommage à Franck, je voudrais rappeler la façon atypique et singulière par laquelle Franck est devenu agriculteur et qui révèle son tempérament bien trempé.
Il a vécu avec sa famille à Bordeaux. Mais, en 1949, à l’âge de 17 ans, au lieu de passer une épreuve d’examen, Franck a préféré aller voir un match de foot opposant les Girondins de Bordeaux à l’AS de Saint-Étienne. Il racontait la suite ainsi : « Naturellement, j’ai eu un zéro à l’épreuve. Quand elle a reçu les notes, ma mère a dit :« Finie l’école. Ouvrier boulanger ! ». Mais seulement après 3 nuits de boulangerie, j’ai pris le train direction Mouscardès où j’avais un oncle agriculteur chez qui j’allais les étés en vacances ».
Bien sûr, très jeune, c’est l’engagement et le militantisme syndical avec le Modef.
Mon collègue Albert reviendra sur son parcours syndical avec les différentes responsabilités départementales et nationales assumées avec dévouement par Franck.
Je voudrais rappeler que, pour notre génération, tout au long de notre engagement politique et syndical, Franck a été notre boussole. Et, quand il intervenait dans les réunions ou en fin d’un congrès syndical du Modef, il ne manquait pas de rappeler les fondamentaux et de tracer le cap. Et, à chaque fois, sa voix était écoutée, son allocution était pleine de vigueur et elle avait parfois le don de réveiller l’auditoire.
Si Franck nous a marqués, c’est avant tout pour sa fibre humaniste, son dévouement pour aider les gens.
Combien de personnes sont venues le trouver pour solutionner un dossier complexe ?
Franck était aussi un rassembleur, il avait cette capacité à fédérer, à mobiliser très largement.
Sa dernière bataille syndicale a été l’amélioration du sort des retraités agricoles, un combat véritablement légitime. Il a pu en voir les premiers résultats avec la mobilisation au sein de l’ADRAF et l’adoption des lois des députés Germinal PEIRO et André CHASSAIGNE.
Pour ne pas être trop long, je terminerai en rappelant l’attachement de Franck aux traditions landaises et à la culture gasconne. Les jeux de quilles et ces fameuses parties dans le quiller de Mouscardès. Mais surtout son attachement à la course landaise.
Comment pouvait-il en être autrement, ici dans son village coursayre de Mouscardès, qui compte plusieurs écarteurs landais champions de France de cette discipline ?
C’était pour Franck un vrai plaisir d’aller aux arènes et plus particulièrement à la course landaise de la fête du Modef à Soustons.
Voilà les quelques paroles que je voulais prononcer en hommage à Franck.
Franck, c’est avec un grand respect que nous te disons, que je te dis un dernier adieu".
Albert SAFFORES
"Mesdames, Messieurs,
Dans les années 60, les dernières luttes autour du métayage s’estompent. Narrosse, la Saint-Pierroise (à Saint-Laurent-de-Gosse) marquaient la fin des grandes manifestations paysannes autour des questions foncières.
Le monde paysan s’est enfin affranchi du métayage. Mais si une page moyenâgeuse de notre histoire se tourne, une nouvelle épreuve s’annonce.
La loi d’orientation agricole de 1962, portée par Edgar PISANI, sonne le moment où un grand chambardement, toujours à l’œuvre aujourd’hui, décréta la disparition de millions de petites exploitations agricoles.
Aux côtés des leaders historiques André BOMBEZIN, Albert JUSTES, Franck est déjà engagé mais c’est dans ces années-là qu’il va prendre une place de premier plan.
Face au Modef, la Fnsea adopte une posture d’accompagnement de ce qu’on appelle pudiquement une «mutation » de l’agriculture. Ce sont les débuts de la co-gestion de la politique agricole que pratique le syndicat majoritaire. Avec en particulier son bras armé : le centre national des jeunes agriculteurs où émergent de très nombreux cadres formés par la JAC (jeunesse agricole catholique).
Franck MARCADÉ n’admet pas ce plan massif d’élimination de tant d’exploitations familiales lui, l’enfant de la ville qui a fait sienne cette terre.
Avec quelques jeunes décidés à continuer la lutte après les conquêtes de l’Après-guerre, il va sillonner le département pour constituer une armée de jeunes militants prêts à s’opposer au plan gouvernemental mais aussi au camp des tenants de la modernisation, en fait au centre départemental des jeunes agriculteurs, proche de la Fdsea.
En quelques années, avec son compère Pierre LAGARDÈRE (St Jean de Lier), Franck met sur pied une organisation de jeunes agriculteurs du MODEF qui couvre tous les cantons des Landes.
C’est là que l’on voit se dessiner le formidable militant qu’il va être des décennies durant.
Le verbe haut, le sens de la formule, il galvanise les troupes, entre autres lors des congrès des jeunes agriculteurs du Modef.
Dans des salles combles de Tartas à Mugron, à Hagetmau, il harangue les troupes.
Nous en venons aux années 1970.
Je l’entends encore aujourd’hui. J’ai 20 ans. Je participe au congrès à Tartas.
« Nous sommes les seuls défenseurs de l’agriculture. Actuellement, c’est la grande mode des minis (Ndlr : mini-jupe…). Je vous le dis, en face de nous, les dirigeants du CNJA, ce sont des minis ».
Pas de cadeau. À ce moment-là s’affrontaient deux tendances syndicales avec des appartenances politiques sous-jacentes bien tranchées.
Une fois le syndicat des jeunes du Modef structuré, avec son animateur, ses fêtes, ses concours de tracteur, Franck va prendre le flambeau de la présidence du Modef à la suite du leader historique du Bas-Adour, André BOMBEZIN.
Et là, il va dynamiser le mouvement avec les traits de caractère qu’on lui connaît.
Travail de terrain. Mobilisation incessante sur tous les sujets qui préoccupent les paysans. Manifestations sur les routes aux quatre coins du département mais aussi à Bruxelles ou Maubourguet (65) en passant par Paris et tant d’autres lieux.
Il s’engage et nous engage sur tous les fronts : les prix agricoles, la défense du gras, la lutte contre les politiques agricoles européennes qui viennent aggraver celle menée nationalement pour accompagner le grand chambardement de nos campagnes.
Rien ne l’arrête quand il a décidé d’aller au combat, à un tel point que, dans le conseil d’administration, quelques-uns l’interrogent.
Manifestation à Paris avec la FNSEA mais aussi dans la Beauce avec les céréaliers contre la nouvelle PAC qui se met en place dans les années 1990. « Franck, tu vas trop loin », ose-t-on lui dire. Mais quand il a pris une décision, il n’entend plus et, ce que nous comprenons, c’est que c’est lui le Patron. Il nous apprend à suivre même parfois à contrecœur. Cela forme la jeunesse.
Ainsi Franck, je te revois battant le pavé parisien auprès de Raymond LACOMBE au cours d’une manifestation grandiose organisée par la Fnsea où plusieurs dizaines de milliers d’agriculteurs défilent.
Je t’entends dire ton sentiment après la manifestation : « Sympa, Lacombe mais il est tout petit ! ». Ainsi Franck menait ses hommes en Capitaine Hardi sur une mer agitée, dans des remous tumultueux. Il nous menait à l’abordage sur les côtes des puissants de ce monde.
Rien ne lui faisait peur.
Le ministre de l’agriculture, Jacques DUHAMEL, venait dans les Landes : il lui barrait la route sur le pont de Saint-Sever.
Quelques années plus tard, des réponses n’étaient pas apportées aux crises successives, on ne le recevait pas au ministère, qu’à cela ne tienne, nous partions en pèlerinage à Maubourguet harceler le maire du lieu, également ministre de l’Agriculture, Jean GLAVANY.
Et dans nos chères Landes, lors d’une des nombreuses manifestations devant le Conseil général, comment un vieux vélo s’est-il retrouvé suspendu à l’entrée du bâtiment ?
Le prix du maïs était en berne. Quelques temps auparavant, le Président du Département, Henri EMMANUELLI (pour lequel nous avons aussi une pensée aujourd’hui) t’avait dit que tu partirais à vélo vendre ton maïs en Espagne. C’était la période où l’Espagne entrait dans le marché commun.
La réponse de Franck fut illustrée : un vélo accroché à l’entrée de l’hôtel du département..
Déployant son incroyable énergie, Franck prit la présidence du Modef national.
Là, ce fut plus difficile avec un nouveau venu dans le paysage syndical : la confédération paysanne et ses nouveaux slogans. Elle mordait sur nos plates-bandes, notamment dans les régions défavorisées du pays.
Quand Franck revient chez nous et que l’heure de la retraite sonnait, ne voilà-t-il pas qu’il s’attelle encore à une tâche prioritaire : la revalorisation des retraites et une meilleure justice pour les pensions de réversion ?
Pour cela Franck crée l’Adraf (association départementale des retraités agricoles de France) qu’il préside.
Et là, comme 40 ans auparavant, il fit merveille. Rassemblant des centaines de retraités lors des congrès annuels, structurant dans tous les cantons des correspondants locaux.
Un travail de fond qui porta ses fruits. Si dans les couloirs de la MSA on ne disait pas que du bien de lui, dans les chaumières son étoile brillait.
Comment ne pas comprendre qu’au bout d’une telle épopée, Franck soit fatigué et qu’il perde quelques facultés.
Il avait tellement donné et, aujourd’hui, n’oublions pas de mentionner Odette sa femme, admirable compagne qui lui permit de continuer à tenir la ferme.
Pour conclure, un mot me vient à l’esprit pour qualifier qui était Franck : un permanent. Permanent dans l’action, permanent dans l’accueil autant dans les permanences syndicales que dans sa propre maison. Permanent tout au long de sa vie au service de la cause des petites paysans. Une foi, une passion l’animait.
Pour tout cela, au nom de l’ensemble des adhérents et sympathisants du Modef, au nom du monde agricole en général, merci et adieu Franck".