"Papa, si tu n'as pas le temps, je vais aller vivre chez maman." C'est un petit message de sa fille, déposé un soir sur son bureau, qui a fait basculer la vie de Sébastien Galloy. "Elle m'a mis une claque et je l'en remercie", dit-il cinq ans plus tard. "J'ai compris que je détruisais ma santé, ma vie familiale et que je me noyais dans le travail." Alors il entame sa révolution professionnelle et personnelle : fini les 350 hectares de légumes industriels qui l'avaient mené au burn-out et à la séparation, place à un nouveau triptyque. "Le temps de travail, le temps familial et surtout, le vivant", résume-t-il. Sébastien bascule alors sur un système "un peu fou". "J'ai pris conscience que si mon sol n'était pas vivant, ce qui poussait dessus ne pouvait pas l'être non plus. Aujourd'hui je ne le force plus à accepter des cultures. Je fais des essais et je garde celles qui poussent toutes seules."
La première année, Sébastien ne récolte que 25% des cultures semées. Nouvelle claque pour l'ingénieur agronome de formation, toujours pas K.O. : "J'ai été formé pour apprendre les molécules de fongicide et j'ai dû tout redécouvrir. Cette fois pas seulement avec la tête, mais aussi avec le coeur. En formation agro, on rationalise tout, maintenant j'écoute aussi ma sensibilité, mes tripes." Une dualité parfois inconfortable : "Certains jours je me dis : "Regarde, il y a de l'herbe, qu'est-ce que tu vas récolter ?" Et puis d'autres, je me dis que c'est génial et qu'il faut continuer…"
Le salut du collectif
C'est dans le collectif que Sébastien a trouvé son salut : celui de Terre de Liens d'abord, qui l'a libéré de la charge foncière : "Demander 2 millions d'euros à une banque sans garantie de rentabilité, ce n'était pas possible. Le projet avec Terre de Liens a démarré en 2019 et je suis fermier depuis 2022. Avec eux, j'ai la certitude que tout ce que je fais ne retombera pas dans le monde conventionnel." Puis il a trouvé d'autres soutiens : les collectifs de l'Adear, de l'Alpad, de la Confédération paysanne et du Modef, de Solidarité Paysans… "Heureusement, parce que quand je discute avec mes voisins, ils m'appellent le poète et ils n'attendent qu'une chose, c'est que je me casse la gueule. Là, j'ai rencontré des gens ouverts à ce que je faisais."
Cette année, Sébastien a planté 23 hectares de tournesol dont 6 hectares associés avec du bleuet, de la marguerite, un mélange mellifère, du méteil féverole-trèfle-phacélie ; 31 hectares de mélange trèfle incarnat-lotier jaune ; 13 hectares de lupin sous couvert de phacélie-trèfle. "Je veux absolument éviter la monoculture, pour la biodiversité d'abord et parce qu'il existe des synergies entre les cultures. Donc je sème toujours au moins une légumineuse et une fleur sur toutes mes parcelles."
Avec du coeur
Un virage radical qu'il ne regrette pas : "Quand j'étais en mode industriel, mon ambition était de gagner 5 000 euros par mois. Je bossais 16 heures par jour toute l'année, j'ai découvert mes filles quand elles avaient 14 ans. Je gagnais du fric mais je n'avais pas de plaisir, pas de passion, pas d'amis. Est-ce que c'est ça, la qualité de vie ? J'ai compris que ce qui me plaisait vraiment, ce n'était pas de travailler pour faire de l'argent mais de regarder pousser une fleur, de trouver un ver de terre, de rencontrer du monde et d'échanger. Mon ambition aujourd'hui, c'est 1 000 euros par mois et j'en ai assez. Mais il faut quand même que ce soit rentable."
Outre la vente de graines de couverts aux agriculteurs, Sébastien produit de la farine de lupin jaune sans gluten, de sarrasin, de l'huile de tournesol et ambitionne de lancer un petit biscuit avec la farine, l'huile et le miel produits sur la ferme. Quant au troupeau de 44 Galloway, il est là avant tout pour recycler les couverts hivernaux et régénérer les sols.
"Je veux aller plus loin dans cette notion de collectif et de mutualisation des compétences, conclut-il. Je cherche quelqu'un qui va travailler sur la valorisation des produits et aller jusqu'à la commercialisation, un autre sur la partie production, un autre encore sur la partie élevage, un autre enfin sur la biodiversité car aujourd'hui, j'ai besoin de mettre en place de l'agroforesterie, des haies. Il faut apprendre à se connaître, voir si on a le même état d'esprit, si les projets correspondent et comment tout le monde se rémunère."
Autant de défis encore à relever. Mais avec du coeur cette fois.
